Sujet: Elle descend de la montagne à cheval. Jeu 3 Nov 2011 - 13:52 | |
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Elle descend de la montagne à cheval.
Nous y voilà enfin. Je n’aurais jamais pensé parcourir le chemin qui me séparait de Kumogakure no Satô aussi rapidement. Et pour cause, il faisait encore nuit. Dire que je ne comptais y parvenir que pour midi. Ajoutons donc la ponctualité à mon incroyablement longue liste de qualités. L’humili-quoi ? Veuillez m’excuser, je ne comprends guère votre langage…
La ponctualité, quelle qualité inconfortable. Me voilà condamnée à attendre que ce cher soleil daigne réveiller mes futurs compagnons. Et qu’il se lève à l’heure ! Je veillerai.
J’étais seule au sommet d’une montagne, assise par terre aux pieds de mes chevaux, dans la nuit, à menacer une boule lumineuse de se presser d’apparaître… Quelle tristesse…
Ah, Naoko, Etsumi, vous me manquez… Quelques heures seulement mais plusieurs centaines de kilomètres nous séparaient déjà… Que la vie risquait d’être monotone, sans vous… Nos chants, nos parties de cartes, nos folles courses dans les plaines, nos confidences, nos petites sournoiseries, nos rires, nos discussions à demi-mots, les étiquettes…
Tiens, le jeu des étiquettes, cet inépuisable divertissement qui nous avait accompagnées dans tous nos séjours au sein des villages. Emergeant de mon état nostalgique, je me levais pour extirper un rouleau vierge ainsi qu’une plume d’un des sacs supportés par un cheval de bât. Narcissique, versatile, naïve, grincheuse, ironique, pleurnicheuse, défaitiste, … Soixante-dix. La sacro-sainte liste des soixante-dix défauts était terminée. Je découpais consciencieusement chacun d’eux, de sorte à me retrouver en possession d’une quantité impressionnante de minuscules étiquettes.
Ayant placé les étiquettes dans un petit sac en cuir noir très fin, j’y plongeais la main, les yeux fermés, afin d’en retirer le bout de papier qui conditionnerait ma journée. Une étiquette par jour, comme avant… Ainsi, vous et notre quotidien révolu me suivrez aussi longtemps que je jouerais.
« Espiègle ». Je riais seule, comme une démente. Seigi, Naoko, Etsumi, je vous assure que vous donneriez cher pour assister à ma première journée dans mon futur village. Chers compagnons, je vous dédie cette fantastique prestation ! Ce ne sera pas aujourd’hui que je me ferais de nouveaux amis…
Qui allais-je rencontrer ? Les victimes de nos escroqueries m’absoudraient-elles ? Comment seront mes équipiers et mon maître ? Espérons que ce soit une femme… J’avais hâte de les rencontrer. En revanche, la réciproque n’était pas certaine.
Une éblouissante boule ocre émergeait à l’horizon. Quelle belle image : après une longue nuit, l’aube se lève sur le village de Kumo, avec mon arrivée.
M’imprégnant de mon personnage du jour, je me recoiffais et me remaquillais les yeux. Interpréter un rôle, aussi ridicule soit-il, demeurait plus facile que de se mettre à nu.
Je me hissais à cheval, faisant face à mon avenir.
Joueuses, jouez !
Traditionnellement, arriver dans un village au galop est porteur de mauvaises nouvelles. Qu’importe, aujourd’hui, je me moque des usages. Après tout, s’ils le pouvaient, ils se moqueraient bien de nos stupides mœurs plombées de superstitions.
Dans un gigantesque nuage de poussière, je franchis les portes à une allure folle, entrainant ma trentaine de chevaux dans ma course. Quelle arrivée ! Tapageuse ! Tonitruante ! Fracassante ! Eclatante ! Je m’arrêtais net sur la place principale, descendis aussitôt de cheval, avisai un passant parmi la foule qui me fixait, incrédule, et lui demandai d’un air innocent et enfantin où se trouvaient les marchands d’étoffes et le joailler que nous avions escroqués quelques années auparavant.
Mes réponses obtenues, je laissais derrière moi, avec un naturel déconcertant, une communauté abasourdie par ma délicate intervention.
Les marchands d’étoffes s’avérèrent très compréhensifs ; quelques phrases suffirent pour abandonner la moitié de mes chevaux en échange de leur pardon et de leur promesse de ne pas ébruiter l’affaire ainsi éteinte.
Les négociations furent en revanche moins aisées avec le joaillier. J’eus le privilège d’assister à un brillant monologue de dix minutes sur la morale et le sens des responsabilités, avant même avoir eu le temps de faire mon offre de dédommagement.
Tais-toi donc, vieil harpagon…
Tiens, il semblerait que sa récitation soit enfin achevée.
- Je vous prie d’accepter mes excuses les plus sincères. Afin de réparer le préjudice que nous avons pu vous causer, j’aimerais que vous acceptiez ces quinze chevaux. Ils sont rapides, endurants et extrêmement bien dressés.
- Chère demoiselle, me répondit-il d’un air irascible, sachez que vos canassons ne compenseront en aucun cas toutes les pertes que vous m’avez occasionnées, vous et vos crapules d’amis ! Et croyez-moi, vous allez l’honorer, votre dette…
Espiègle. Ah oui, c’est vrai. M’armant de mon plus beau sourire, j’affirmais alors très sérieusement :
- C’est avec grand plaisir que je passerais une nuit avec vous en guise de dédommagement !
Le visage du commerçant s’empourpra soudainement. Quelle vision délicieuse. Il bafouilla péniblement qu’entretenir de telles relations n’était pas dans ses habitudes, et qu’il était un honnête homme marié.
- Oh, mon intention n’était guère de vous offenser. Restons en donc à notre premier accord, les quinze chevaux sont attachés à l’extérieur. Je suis ravie que nous ayons convenu aussi facilement d’oublier le passé. Quel scandale, si le village apprenait la proposition indécente que vous venez de me faire…
Ne lui laissant pas le temps de reprendre ses esprits, je tournais les talons et sortis de l’échoppe.
Mes péchés expiés, il était temps de demander l’intégration d’une équipe, et de rencontrer mes compagnons, maîtres et supérieurs. La perspective d’un entretien avec le Raikage, au regard de mon étiquette, provoqua un rire nerveux.
Quelle affreuse image de moi laisserais-je donc…
Qu’importe, il faut continuer de jouer.